L’ennui, les petites araignées et les grandes questions.

Fenêtre ouverte, Collioure. Henri Matisse

J’étais censée travailler mais mes yeux se sont perdus, à cause de l’ennui sans doute, et j’ai aperçu ces deux araignées qui se battaient sur la fenêtre. Au début j’ai eu comme un doute : peut-être que c’était plutôt une parade nuptiale ou un truc de ce genre-là ? Je ne m’y connais pas tellement en araignées. Oh et puis, rapidement, j’ai quand même compris qu’elles n’avaient pas l’air commodes et que les mouvements étaient un peu trop bruts pour ressembler à de l’amour. Encore que, l’amour peut avoir des côtés parfois… Mais je m’égare. Elles se battaient donc, sur ce minuscule recoin de fenêtre. Elles avaient de longues pattes toutes fines qu’elles se lançaient comme des épées et j’ai bien vu qu’il y en avait une qui prenait le dessus. L’autre reculait et elle n’avait pas l’air de faire sa maligne alors c’était assez évident quoi. A ce moment-là, j’ai eu une pensée étrange : je me suis dit qu’elles se battaient de toutes leurs forces et que, même si je n’avais pas de raison de le faire, j’avais, moi, la possibilité de les écraser avec une facilité du genre qui déconcerte. Un magazine qui traîne, un coup sec et précis, aucun cri et à peine une trace. Bon, je n’avais aucune intention de leur infliger ça bien sûr mais j’y ai pensé, à cause de l’ennui sans doute. En fait, leur combat avait sûrement une explication mais, pour moi qui ne parle pas un mot d’araignée, ça semblait vraiment dérisoire. Il faut préciser aussi que c’était quand même une porte-fenêtre, donc il y avait sans doute un compromis à trouver quelque part. Elles auraient pu faire la paix avec leurs grandes pattes et se partager les petites mouches capturées ensemble et ça aurait quand même fait une plus belle histoire. Depuis ma chaise, le travail toujours en pause, je pensais que c’était vraiment idiot de se battre et qu’on pouvait sûrement trouver une solution. Alors bien sûr j’ai transposé comme ça m’arrive souvent et je me suis dit que les êtres humains se battaient eux aussi sur un coin de fenêtre à l’échelle de l’univers et que c’était vraiment stupide et que quelqu’un pourrait bien décider de les écrabouiller tous en même temps, selon s’il a bien dormi la nuit précédente ou pas. La vie tient à si peu de choses…

Peut-être qu’il faudrait que les êtres humains prennent conscience de leur taille pour arrêter d’être cons. Peut-être qu’il faudrait qu’ils prennent conscience de l’espace qu’ils occupent dans l’univers pour redescendre d’un étage en ce qui concerne l’orgueil. En ce moment, notre minuscule planète plus grosse que nous commence à envoyer des messages qui ressemblent à des coups de magazine mais on ne comprend rien. On ne veut pas voir d’où vient ce truc bien plus gros qui va tous nous écraser sans faire de distinction parce qu’on est bien trop occupés à se mettre sur la gueule pour des petites mouches. C’est important les petites mouches. C’est le problème quand on est trop con et centré sur quelque chose : on oublie de prendre le recul nécessaire à la survie de l’espèce.

Bon, en les regardant encore, je trouvais qu’elles n’avaient plus l’air de vouloir s’égorger, même si elles étaient encore là à se filer des petits coups de pattes puis à se tourner le dos. Peut-être que c’est bien un truc nuptial après tout. Difficile de savoir.

Anaïs Andos

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